ENQUÊTE : PRÈS DE 5 PATIENTS SUR 10 NE PRENNENT PAS CORRECTEMENT LEUR TRAITEMENT INHALATEUR

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Le Pr Mathieu Molimard, pneumologue, chef du département de pharmacologie médicale du CHU de Bordeaux et coordinateur de l’enquête « patients » 2019 conduite avec l’association Santé respiratoire France, croit beaucoup à l’apprentissage par l’erreur. Montrer, vérifier, corriger et consolider le bon usage régulièrement est le meilleur moyen pour les soignants de s’assurer que leurs patients inhalent correctement leurs médicaments.

L’ENQUÊTE
L’enquête « Formation des patients BPCO à l’utilisation des inhalateurs » (1) a été conduite via Internet du 27 septembre au 31 octobre 2019. 1190 patients souffrant de bronchopneumopathie chronique obstructive (et/ou emphysémateux avec une prescription de traitement inhalé), âgés de 62 ans en moyenne, ont répondu au questionnaire établi par un comité scientifique composé de deux médecins pneumologues, le Pr Mathieu Molimard et le Dr Laurent Nguyen, d’un pharmacien, Thierry Barthelmé, et d’une patiente experte BPCO, Marie-Josée Dos Santos. Outre des questions sur les connaissances des patients, leur formation, les pratiques et les difficultés perçues, leur niveau d’adhésion au traitement par inhalateur a été mesuré au moyen de l’échelle de Morisky Medication Adherence Scale (MMAS) en quatre questions.

SRF : Respirer, souffler… Tout le monde connaît. Mais inhaler, est-ce un mécanisme bien moins intuitif ?  

Pr Mathieu Molimard : C’est en effet l’une des raisons pour lesquelles les inhalateurs sont mal utilisés par les patients, un constat établi depuis près de 40 ans avec les sprays. La situation ne s’améliore pas, en dépit de la mise au point ces dernières années de nouveaux dispositifs d’inhalation. Leur multiplicité illustre la difficulté de concevoir un inhalateur idéal. Les erreurs techniques commises par les patients et la méconnaissance de ces erreurs par les soignants avaient déjà été soulignées dans une étude parue en 2003 (2), avec la limite que nous n’avions pas été en mesure de démontrer que ces erreurs avaient un impact clinique. Dans une seconde étude publiée en 2017 (3), nous avions établi qu’entre 60 et 80 % des personnes commettaient au moins une erreur, indépendante du dispositif. Ces erreurs peuvent ne pas trop porter à conséquence (manque d’expiration avant inhalation, absence d’apnée pendant les quelques secondes après l’inhalation). A l’inverse, d’autres peuvent être graves, c’est-à-dire affecter sensiblement le dépôt pulmonaire. Il s’agit, par exemple, d’un défaut d’inspiration par la bouche à travers l’embout buccal, du fait de souffler dans l’inhalateur de poudre sèche avant l’inhalation ou d’inspirer par le nez. Ces erreurs graves, susceptibles de limiter la dose inhalée arrivant au contact des bronches, sont associées à un risque doublé (6 % contre 3 % sur les trois derniers mois) d’exacerbations graves de BPCO, c’est-à-dire conduisant à une hospitalisation. Une dose incomplète équivaut à un traitement partiel ou pas de traitement du tout. Une preuve « en miroir » que ces traitements sont utiles ! 

De plus, les erreurs d’utilisation augmentant avec l’âge, celles-ci étaient plutôt retrouvées chez les patients BPCO que chez les asthmatiques. Quant au flux respiratoire plus faible chez certaines personnes BPCO, il semble intervenir de manière marginale dans l’efficacité de l’inhalation elle-même.

Dans cette population de personnes BPCO, l’intérêt d’une enquête « patients » était de confirmer la prévalence des erreurs d’inhalation et de recueillir leur avis sur les moyens d’améliorer cette situation. En un mois, plus de mille patients ont répondu de manière complète au questionnaire. 96 % d’entre eux déclarent prendre un traitement inhalé et 55 % utilisent un inhalateur depuis plus de 5 ans.

Quels sont les chiffres clés de cette enquête ?

35 % des patients n’adhèrent pas ou peu à leur traitement (ils oublient leur traitement et/ou ne font pas attention aux jours auxquels ils doivent le prendre et/ou cessent de le prendre quand ils se sentent mieux ou moins bien). Et surtout, 44 % n’adoptent pas systématiquement les quatre bons gestes lorsqu’ils utilisent leur(s) inhalateur(s) : vérifier la présence de la dose, vider les poumons, inspirer profondément et bloquer la respiration.

Les patients commettent souvent des erreurs en prenant leur système d’inhalation. Patients et soignants doivent en prendre conscience.

35 % des patients ne lisent pas systématiquement la notice d’utilisation de leur inhalateur.

Les patients « non observants » sont plutôt jeunes, actifs, et déclarent une pathologie « récente » avec une utilisation de l’inhalateur depuis moins d’un an. Le profil des patients les moins observants correspond à mon expérience clinique. L’observance des traitements est liée à la compréhension de la maladie, à l’éducation thérapeutique de manière globale. C’est un processus continu qui prend plusieurs années, d’où une inobservance plus prégnante chez les jeunes. Cela dépend également de l’acceptation de la maladie (12 % des patients pensent qu’il est encore possible de guérir de leur BPCO), de la prise de conscience de l’intérêt du médicament à l’occasion de crises successives dues à une mauvaise observance (27 % estiment inefficace leur traitement par inhalateur), de la sévérité de la maladie, de l’âge et de l’ancienneté de la maladie.

Quels sont les principaux enseignements de cette enquête ?

Le niveau de formation des patients est insuffisant. Cela se retrouve dans les résultats de l’enquête où 37 % des patients BPCO n’ont jamais été formés à l’utilisation de leur(s) inhalateur(s) ! Suivre une démonstration d’utilisation à partir d’un inhalateur factice est la demande souvent mise en avant par les patients. En effet, les soignants doivent montrer en consultation comment inhaler correctement, ce qui les oblige à disposer de la panoplie des systèmes disponibles. Les médecins doivent vérifier en consultation que le patient effectue le geste correctement afin de corriger toute erreur en direct. Ces erreurs sont parfois surprenantes.

Personnellement, je convoque les patients un mois après, afin qu’ils me fassent une démonstration de prise de leur inhalateur, puis à chaque consultation. Car avec les années, les erreurs s’installent et s’accumulent.

Concernant le soignant formateur, dans l’enquête « patients » 2019, 70 % des patients ont été formés par leur pneumologue, qu’ils considèrent d’ailleurs en majorité comme le plus légitime pour leur dispenser la formation sur le bon usage de leur dispositif d’inhalation. La consultation reste, selon les patients, le lieu de prédilection pour la formation à l’utilisation de l’inhalateur (à 64 %) ; le stage de réadaptation respiratoire également (52 %).

Néanmoins, si les pneumologues devraient être plus sensibilisés à ces erreurs d’inhalation, tout professionnel de santé devrait être formé et en mesure d’en vérifier le bon usage, du moins orienter vers des vidéos d’utilisation ou adresser la personne à un spécialiste. Dans l’enquête, les patients ont l’impression que les professionnels de santé « se renvoient la balle ». L’enquête fait ressortir le rôle potentiel du pharmacien. C’est effectivement un relais très accessible et de proximité pour former, expliquer à quoi sert le traitement et vérifier les bonnes pratiques.

Tous les dispositifs d’inhalation sont-ils concernés ?

Tous les inhalateurs exposent à un risque d’erreur, mais ceux qui en engendrent le plus sont ceux qui requièrent une synchronisation, une coordination main-poumon. Cette manipulation techniquement plus difficile entre le déclenchement du bouton et l’inspiration ajoute de la complexité en comparaison avec des systèmes auto-déclenchés par l’inspiration. Ce qui ne signifie pas que ces derniers ne posent pas non plus de problèmes (absence de feed-back, armement complexe…).

Les patients ont besoin d’une démonstration d’utilisation, soit en présentiel, soit en visionnant une vidéo éducative ; ce moyen est d’ailleurs plébiscité par les patients à 75 %. Idéalement, les patients pourraient aussi se filmer en train d’inhaler, dans un contexte de télémédecine de rééducation à l’utilisation des systèmes d’inhalation. Parmi les demandes des patients figurent une simplification des systèmes d’inhalation, la mise au point d’un système universel, la présence d’un indicateur de doses, un emballage pratique, etc.

Dans les années à venir, la mise à disposition d’inhalateurs connectés, avec l’enregistrement des prises et la vérification de l’inhalation des doses complètes, des rappels en cas d’oubli, etc., seront d’une grande aide.

Verbatim de patients :

« Pour l’utilisation du bronchodilatateur, le pneumologue m’a montré sur le seuil de la porte comment l’utiliser. » Femme, 44 ans, stade 2, modérément observante.

« Parce que j’ai du mal à coordonner le geste (la pression) et mon inspiration. Je me suis sentie stupide lorsque mon médecin a pris 15 minutes pour une séance d’apprentissage, mais je n’y arrive que difficilement ». Femme, 77 ans, stade 3, très observante.

« Information orale seulement. Le médecin ne vérifie par la pratique réelle ». Homme, 69 ans, stade 3, modérément observant.

« Ce n’est pas évident. On ne sent pas si l’inhalation a été bien faite. Cela semble simple : inspirer fort. Mais … » Femme, 72 ans, stade 2, modérément observante.

Vidéo éducative
Utilisation des systèmes d’inhalation par le Pr Mathieu Molimard : voir la vidéo
Références : 

(1) Enquête conduite par le Living Lab de l’association Santé respiratoire France (RespiLab), avec le soutien de Boehringer Ingelheim. Réalisée par Cécile Grosset (Agence Smartketing, France). 

(2) Molimard M, Raherison C, Lignot S, Depont F, Abouelfath A, Moore N. Assessment of handling of inhaler devices in real life: an observational study in 3811 patients in primary care. Journal of aerosol medicine : the official journal of the International Society for Aerosols in Medicine. 2003;16(3):249-54. 

(3) Molimard M, Raherison C, Lignot S, Balestra A, Lamarque S, Chartier A, et al. Chronic obstructive pulmonary disease exacerbation and inhaler device handling: real-life assessment of 2935 patients. The European respiratory journal. 2017;49(2)